Les hôpitaux sont au coeur de notre système de santé. Les bâtiments hospitaliers en sont les enveloppes. Les progrès technologiques des soins médicaux sont fulgurants. Et ceux des bâtiments hospitaliers? Quelles enveloppes pour les hôpitaux du futur? Combien d’hôpitaux sont-ils nécessaires? Quel genre d’hôpital est demandé par les différents groupes d’intérêt? Les solutions modulaires y trouvent-elles leur place? Nous nous somme entretenus avec un expert ès hôpitaux, Christoph Jäggi.

Interview: Marion Elmer et Tamás Kiss

Comment construit-on les hôpitaux aujourd’hui en Suisse?
Christoph Jäggi: dans la construction d’hôpitaux, on se contente souvent de copier ce qui a bien fonctionné ces dernières décennies, sans se poser la question de savoir quel type de bâtiment hospitalier on aura besoin dans 15, 20 ou même 30 ans. Le processus de construction est presque partout déconnecté des besoins des patients et de ceux qui savent quels espaces sont nécessaires au traitement optimal des patients. A la fin on se retrouve avec un objet qui ne répond pas aux besoins et qui ne fonctionne pas de manière optimale au quotidien. Qui plus est, les hypothèses de planification d’un bâtiment hospitalier changent au cours de la longue durée de sa construction. A Wattwil, on vient par exemple de construire un nouveau bâtiment pour 60 millions, pour remarquer en fin de compte qu’on n’en n’avait plus vraiment besoin.

Je pense que la future construction d’hôpitaux sera forcément modulaire, tant dans la conception que dans la construction. Car un hôpital doit garantir le potentiel constructif pour de nouveaux usages, que ce soit pour les soins à long terme ou la réhabilitation.

Christoph Jäggi

Est-ce par manque de réflexion des responsables? Où est le problème?
CJ: Le problème n’est pas dans le manque de réflexion, mais dans les grands bouleversements du secteur sanitaire et la complexité du projet de construction d’un hôpital. Nous nous cramponnons à l’idée de construire un truc idéal pour chaque hôpital. Mais nous ferions mieux de nous demander, comment construire un objet qui soit utile et que l’on puisse refinancer. Construisons-nous d’un point de vue isolé ou avec une vue d’ensemble? Et c’est quoi, une vue d’ensemble? Le canton, la région, la Suisse?

Est-ce que cette vision d’ensemble existe dans d’autres pays?
CJ: Oui. Le Danemark mise par exemple sur une stratégie nationale et construit de nouveaux énormes super hôpitaux pour l’ensemble du pays. Et même si tout n’est pas résolu de manière optimale, il est juste de se donner une stratégie à l’échelle nationale.

Que doit-on changer fondamentalement dans la construction des hôpitaux?
CJ: Nous devons penser leur construction plus comme une transformation. Les Jeux Olympiques de Londres représentent un cas d’école pour moi: on y a conçu infrastructure et bâtiments au-delà des jeux eux-mêmes. Et le jour après les olympiades, le quartier olympique est devenu un nouveau quartier de Londres à part entière. Nous devons donc construire des bâtiments qui peuvent changer d’usage au fil du temps. Si on décide demain qu’un hôpital stationnaire doit être transformé en un hôpital de soins ambulatoires, il faut pouvoir adapter le bâtiment à moindres frais.

Est-ce que des solutions modulaires pourraient faire sens? Est-ce que ce mode de construction est connu des bâtisseurs d’hôpitaux?
CJ: J’ai vu plusieurs hôpitaux de construction modulaire, comme des pavillons avec des lits servant de surfaces d’accueil provisoires durant les chantiers de nouvelles constructions. Mais la plupart du temps, la conception reste classique. L’industrie de la construction n’a guère d’intérêt à construire à moindre coûts, et les architectes préfèrent bâtir des édifices prestigieux. Je pense toutefois que la conception et la construction modulaire vont s’imposer à l’avenir. Car un bâtiment hospitalier doit pouvoir s’adapter en tout temps à de nouveaux usages, que ce soit pour des soins à long terme, de la réhabilitation ou pour des logements pour senior.

Est-ce que l’idée des bâtiments modulables est en train de s’imposer?
CJ: De nombreux hôpitaux de par le monde tentent de suivre cette évolution. Dans l’hôpital universitaire Karolinska en Suède la statique et la hauteur des salles ont été conçues pour que le bâtiment puisse être reconverti en tout temps. Aux USA, on planifie aujourd’hui les hôpitaux pour quels puissent s’agrandir selon la demande. On en trouve un bon exemple avec la Everett Clinic au nord de Seattle, où seules deux salles d’opération ambulatoires ont été planifiées pour commencer. D’autres peuvent venir s’y ajouter selon les besoins. Ce qui est également particulier dans cette clinique, c’est qu’elle a deux entrées différentes: les patients y entrent par l’avant du bâtiment, le personnel soignant par l’arrière. Ils ne se rencontrent ainsi une première fois que dans une salle de diagnostic ou de soins.

A quoi servent ces deux entrées séparées?
CJ: Il s’agit avant tout de placer les patients au centre de l’attention et de leur fournir le plus rapidement les soins appropriés. Dans les stations d’urgence traditionnelles, on traite en général les cas les plus lourds en priorité. Les patients souffrant de symptômes moindres doivent souvent attendre longtemps avant qu’un médecin assistant, qui a moins d’expérience, daigne les examiner; ce n’est que dans un deuxième ou troisième temps que le médecin en chef prend le relais. Si le premier diagnostic était trop vague ou erroné, il faut tout recommencer depuis le début.

Comment améliorer ce processus?
CJ: Nous nous sommes demandé ce qui se passerait, si nous inversion le processus et que ce soient les médecins les plus expérimentés qui entament la prise en charge des patients. Ils sont en mesure de poser un bon diagnostic et un traitement adéquat bien mieux et plus rapidement. Une équipe médicale de deux personnes, constituée d’un médecin et d’un soignant, prend le relais en suivant les indications de l’expert. Cela permet aux patients souffrant de moindres maux de quitter bien plus vite les urgences.

Quelles salles ou éléments faut-il pour un tel processus?
CJ: Il faut pour cela un certain nombre d’unités d’évaluation médicale dans lesquelles l’équipe médicale décide en quelques minutes de la suite de la prise en charge des patients. Seuls ceux qui doivent rester plus longtemps se rendent ensuite dans les entrailles de l’hôpital.

Il faut donc combiner un changement tant au niveau des espaces que des procédures et de la culture de l’entreprise? Comment cela est-il perçu par le personnel?
CJ: Pour une organisation basée sur l’expertise comme c’est le cas d’un hôpital, tout changement est éprouvant. La meilleure façon d’y procéder est pour moi un processus de négociation au cours duquel on essaie de comprendre les différents intérêts en jeu et qui se déroule – c’est primordial – dans le cadre d’une simulation pratique et haptique.

Comment se faire une idée d’une telle simulation?
CJ: Nous avons par exemple simulé les processus pour la nouvelle construction de deux stations ambulatoires pour enfants de l’hôpital universitaire de Graz, au cours de laquelle nous avons développé l’espace en étroite relation avec les processus. Nous disposions pour cela d’un grand chapiteau sur le parking de l’hôpital. C’est dans ce décor que nous avons cherché à établir une fluidité spatiale optimale, en nous aidant de parois et autres éléments en carton et avec la participation active d’une équipe de divers horizons professionnels, des patientes et des patients, y compris leurs parents. Les architectes et les ingénieurs observaient la simulation et donnaient de temps à autres des conseils pour optimiser l’espace pour des situations particulières. Un peu plus tard, deux classes d’écoliers ont testé le nouvel aménagement durant toute une journée et nous ont livré de précieux feedback.

Existe-t-il déjà des hôpitaux ayant mis en oeuvre architecturalement ces approches?
CJ: Oui, par exemple le Orbis Medical Centre en Hollande. Son rez-de-chaussée fonctionne comme une galerie marchande avec différentes zones, où se déroulent les activités ambulatoires quotidiennes. Dans les étages supérieurs, on trouve les salles de lits stationnaires et sous le toit, une vaste bibliothèque ouverte ainsi qu’un espace de Co-Working, qui vient remplacer le bureau de médecin traditionnel. Toutes ces zones à usages flexibles permettent d’offrir un lieu d’échange non seulement aux patients et aux visiteurs, mais également au personnel. Des études ont montré que des gens occupant des bureau éloignés de plus de douze mètres vivaient comme s’ils se trouvaient chacun sur une autre planète.

Votre conclusion?
CJ: Etant sous influence de l’industrie du bâtiment, on planifie aujourd’hui encore trop souvent les hôpitaux de manière classique, au lieu de penser à leurs futures conversions. La pression sur les coûts et la digitalisation de l’industrie du bâtiment devraient toutefois contribuer au cours des prochaines décennies à ce que l’on planifie et construise les bâtiments hospitaliers de manière plus efficiente et modulable.

Christoph Jäggi s’est spécialisé en conseil auprès des hôpitaux en matière de positionnement stratégique et de planification du développement des soins. La fusion des hôpitaux, voire de régions hospitalières entières, pose de nouveaux défis passionnants. Au coeur de ce questionnement se trouve pour lui la plus-value d’usage pour les patientes et des patients, ainsi que les procédures d’échanges entre les personnages clés des hôpitaux et le grand public. Jäggi a étudié l’économie et la gestion, a un Executive MBA in Business Engineering et est certifié Global Negotiator. Avant de se lancer en 2000 dans le conseil, il était membre de la direction de Swiss Life à Zurich. Après 20 ans en tant que cofondateur et Managing Partner de walkerproject SA, il est depuis 2021 cofondateur de l’entreprise suédoise Comentum AB.

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