Le nouveau lotissement coopératif Zollhaus à Zurich offre aussi bien des logements classiques qu’une nouvelle forme d’habitat dans des halles. Leur aménagement intérieur a été conçu par les habitants eux-mêmes. Le concept de l’association «zurwollke» (dans les nuages) innove totalement. Ses membres habitent ainsi dans de petites tours modulaires mobiles, qui peuvent se regrouper de façon aléatoire selon les envies et les besoins.
Photos: Annett Landsmann © zurwolke e.V.
Photo: Annett Landsmann
L’habitat en halles est pour Mätti et sa partenaire la forme d’habitation idéale: «La consommation de surface par personne est réduite et laisse de la place à la créativité, puisqu’il n’y a pas de repères fixes. Les échanges sociaux et le vivre ensemble en sont fortement stimulés».
Eva Maria Küpfer, Mätti Wüthrich et leurs deux enfants ont actuellement depuis leur coin à coucher une vue sur le passage souterrain de la Langstrasse, les quais de la gare centrale de Zurich et la Prime Tower. Cette vue pourrait toutefois bien changer ces prochains mois et donner sur la Zollstrasse voisine ou sur la cour intérieure du lotissement. C’est possible grâce au concept spécial d’habitation de la communauté d’habitants du nouveau lotissement Zollhaus de la coopérative d’habitation Kalkbreite à Zurich, dont la famille est membre. Eva Maria, Mätti et les enfants ne font donc pas partie d’une coopérative d’habitation traditionnelle: ils pratiquent ce que l’on pourrait appeler l’habitat en halles. Une forme radicale du vivre ensemble, qui éclate complètement l’agencement traditionnel des pièces d’un appartement. Leur habitat est une halle de 275 mètres carrés de surface et de 4,15 mètres de hauteur, située au troisième étage d’un immeuble. La communauté d’habitation «zurwollke*» est une association d’habitants. Elle loue la halle et seuls ses membres peuvent y habiter. On compte aujourd’hui douze habitant-e-s, dont quatre enfants. Dix usagers non permanents y louent en outre des espaces d’atelier ou de Freefloating/Co-Working, où ils travaillent plus ou moins régulièrement. Plusieurs raisons ont motivé la location de ces places de travail: «D’une part, nous aimerions que la surface soit utilisée le plus durablement possible à toute heure; d’autre part, les activités artistiques qui ont lieu dans la halle sont autant de sources d’inspiration – et de revenus locatifs pour nous», raconte Mätti Wüthrich. Les usagers des ateliers travaillent donc en général dans la halle durant la journée, quand une bonne partie des locataires permanents sont à l’école ou au travail.
Installations sanitaires fixes, tours d’habitation mobiles
Mätti et sa partenaire ont déjà vingt d’expérience en matière d’habitat en halles. Ils ont par exemple déjà vécu au Labitzke-Areal à Zurich et au hohlzke, un ancien projet d’habitat en halles à la Hohlstrasse, près de la gare de Zurich-Altstetten. L’habitat en halle est pour tous deux la forme d’habitation idéale: «La consommation de surface par personne est réduite et laisse de la place à la créativité, puisqu’il n’y a pas de repères fixes. Les échanges sociaux et le vivre ensemble en sont fortement stimulés», souligne Mätti. Les projets d’habitat en halles dans lesquels ils se sont engagés par le passé étaient liés au mouvement en faveur des squats et ont été réalisés dans un certain flou juridique. Car les halles occupées étaient destinées à de l’artisanat et à des ateliers, mais pas à du logement. Il en va tout autrement au Zollhaus. Le projet a été approuvé par les autorités de construction et les halles peuvent être utilisées pour l’habitation. La coopérative Kalkbreite avait prévu ce type d’habitat dans le programme du concours d’architecture, remporté par le bureau Enzmann Fischer Partner de Zurich.
Le Zollhaus compte 56 logements, ainsi que des locaux destinés à de l’artisanat, de la gastronomie et de la culture, en plus des quatre halles d’habitation. Avec ce projet, la coopérative d’habitation a sans doute créé pour la première fois en Suisse les conditions légales pour de l’habitat en halles. Quatre halles d’habitation ont finalement été construites dans le lotissement, toutes quatre ayant été aménagées très différemment par quatre groupes de personnes intéressées. Du point de vue de Maria, Mätti et d’autres habitant-e-s, cette forme légale d’habitat en halles apporte toutefois son lot de nouvelles contraintes: la surface totale est par exemple nettement moins grande que dans les projets passés. Un coin cuisine et quatre installations sanitaires ont été aménagés de manière fixe, ce qui limite un tantinet les possibilités d’occupation de l’espace. Qui plus est, la coopérative d’habitation Kalkbreite se réserve le droit de réaménager les halles en lofts, au cas où la forme d’habitation en halle devait prendre fin.
Les contraintes des modules sont simples: ils doivent être mobiles et sûrs (statique, enfants), et doivent pouvoir être déplacés entre les obstacles fixes de la halle, disposer de points d’ancrages standardisés à d’autres modules et leur poids ne doit pas dépasser les 200 kg pour respecter la capacité statique de charge ponctuelle au sol des halles.
Mais malgré ces contraintes, les habitant-e-s ont repris et adapté l’idée de l’habitat en halles qu’ils avaient déjà pratiquée par le passé. La surface d’habitation privée est réduite au minimum, mais tout le monde bénéficie de grandes zones communes comme la cuisine, la table à manger, le coin des sofas ou un espace de retrait. Il n’y a pas de pièces au sens classique, mais des sortes de mobiliers habitables. Les habitant-es les appellent les tours d’habitation. Il s’agit en fait de modules qui occupent presque toute la hauteur des halles et qui comprennent le plus souvent deux espaces d’utilisation fonctionnant comme des surfaces privées. Les contraintes des modules sont simples: ils doivent être mobiles et sûrs (statique, enfants), et doivent pouvoir être déplacés entre les obstacles fixes de la halle, disposer de points d’ancrages standardisés à d’autres modules et leur poids ne doit pas dépasser les 200 kilos pour respecter la capacité statique de charge ponctuelle au sol des halles. Les parois latérales des modules doivent en outre pouvoir laisser passer la lumière avec des moyens simples, comme par exemple des rideaux, que l’on peut ouvrir durant la journée. Les propriétaires de modules louent une surface de neuf mètres carrés ou un multiple de neuf. Il est toutefois souhaité que la dimension de base de neuf mètres carrés soit répartie sur deux modules ou plus – pour plus de flexibilité d’usage. Les tours doivent être mobiles afin de pouvoir être déplacées en tout temps dans la halle. «Notre but, c’est de modifier leur agencement tous les trois à six mois», déclare Mätti Wüthrich. Les nouvelles places sont attribuées lors de l’une ou l’autre des séances mensuelles par une opération appelée «procédure par consentement mutuel». Les modules donnent aussi la mesure de l’estimation du loyer. Les occupants d’une tour de neuf mètres carrés de surface au sol paient actuellement un loyer mensuel de mille francs par mois, les locataires d’ateliers versent un quart de cette somme et les Freefloater un sixième.
La première rocade se fait attendre
La mobilité des tours est limitée par la taille relativement modeste de la halle. Au Labitzke-Areal ou au Hohlzke, il était plus facile de les déplacer rapidement pour faire place à un concert ou à une pièce de théâtre. Dans la Zollhaus, la relative exiguïté de la halle nécessite un brin de planification prévisionnelle. Avant même d’avoir emménagé, Mätti et consorts avaient imaginé lors d’un workshop diverses configurations possibles pour les emplacements des tours d’habitation, les ont testées sur la base d’une maquette et déterminé ainsi la masse maximale des modules, afin que ces derniers puissent s’emboîter les uns aux autres lors des manoeuvres. Malgré ces contraintes, le design des tours est très varié. Elles sont composées de bambou, d’acier, d’argile et de de paille ou encore d’éléments en réemploi, et leurs agencements sont parfois très élaborés. Comme par exemple les cinq modules d’Eva Maria et Mätti, qui reposent sur dix-huit mètres carrés de sol – ce qui équivaut à un loyer de deux tours d’habitation. «Comme nous travaillons tous les deux et que nous consacrons aussi du temps à nos enfant, nous avons cette conçu nos modules nous-mêmes, mais nous les avons fait valider et construire en grande partie par des pros de la construction», explique Mätti.
Les unités ont un cadre en acier et des panneaux de remplissage horizontaux en bois. Les surfaces verticales sont principalement des fenêtre coulissantes. Elles garantissent une transparence et permettent d’accoter de façon très variée les modules individuels de la famille et de les ouvrir les uns par rapport aux autres. La nuit, des rideaux périphériques offrent une certaine privacité. La famille dispose de deux modules équipés de surfaces pour dormir, ainsi que de deux modules d’escaliers, un petit et un grand, pour accéder aux espaces supérieurs. Un module de bureau pour le home office complète le tableau. Un mécanisme subtil permet d’abaisser les roues du module, qui le reste du temps répartit des charges allant parfois jusqu’à une tonne et demie sur toute la surface de base du module. Comme tous les habitants n’en ont pas encore terminé avec l’aménagement de leurs tours d’habitation, il n’y a pas encore eu de rocade depuis leur emménagement en février 2021. Mais dès que tous seront prêts, la première rocade sera sans doute décidée par consentement mutuel lors d’une réunion mensuelle. La famille d’Eva Maria et Mätti pourrait donc bien réarranger leurs espaces privés autrement et bénéficier d’un autre point de vue sur la ville environnante – grâce à la modularité de leurs tours d’habitation.
*L’orthographe particulière de «zurwollke» en réfère aux anciens projets d’habitats en halles, dont les dénominations se terminaient par ZKE (Labitzke etc.) et au nouveau projet du Zollhaus, en reprenant le double L de Zollhaus
L’habitat en halles à la TV
Au cours de l’attribution des halles par la coopérative Kalkbreite, ainsi que durant la phase d’emménagement, plusieurs reportages et émissions ont été réalisés par la télévision sur cette forme spéciale d’habitation et leurs protagonistes.
SRF – Schweiz Aktuell, 4. März 2021 «Wohnen in der grossen Halle»
Keystone SDA, 11. Februar 2021 «Züricher Hallenwohnen: Privatsphäre aufs Minimum reduziert»
Bon à savoir: la procédure d’attribution des halles par la coopérative Kalkbreite tel que représentée dans SRF DOK «Anders wohnen – Eine Wohngemeinschaft in der Gewerbehalle» a été repensée par la suite, notamment à cause de certains problèmes légaux et techniques, ainsi qu’à cause de la difficulté à trouver des financement pour certains groupes choisis. Lors du second round d’attribution, mené en 2018 sous la houlette d’un nouveau comité, le groupe gravitant autour de Mätti Wüthrich, qui n’avait d’abord pas été retenu, a eu droit à sa halle grâce à un projet réadapté à la halle.
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