Les projets de renaturation urbaine ont la cote. Que ce soit pour combattre les ilots de chaleur ou pour libérer des cours d’eau, on voit émerger un peu partout des tentatives de réduire le tout minéral pour recréer des espaces plus propices à la biodiversité. S’inscrivant pleinement dans cette dynamique, la dernière édition du concours «Sustainable is beautiful» en donne un bel exemple sur le site de l’Université de Lausanne (UNIL).
Documents: Vincent Digneaux, Solène Guisan, Vincent Kastl
Le projet lauréat est sobre, modulaire dans son système constructif et évolutif au niveau conceptuel. Avec une réelle économie de moyens, il offre une large palette d’usages et un potentiel de réemploi intéressant.
Prof. Emmanuel Rey, président du jury
Les bouleversements climatiques de plus en plus marqués de ces dernières années impactent de plus en plus violemment notre environnement et nos conditions de vie. Et si nos instances politiques tardent à prendre les mesures radicales qui s’imposent, notamment dans le secteur de la construction et de la rénovation du bâti, il est un lieu où l’on tente d’anticiper les choses en réfléchissant activement à de nouvelles manières de bâtir, et de concevoir une architecture plus résiliente. Je veux parler de l’EPFL en général, et du Laboratoire d’architecture et technologies durables (LAST) dirigé par le Prof. Emmanuel Rey en particulier. Au lieu de céder au défaitisme ou à la peur devant l’ampleur paralysante d’une catastrophe annoncée, on y traite les innombrables défis posés à l’environnement construit comme autant d’opportunités de se montrer créatif et de repenser à la fois l’enseignement de l’architecture, le projet architectural et le rôle de l’architecte.
En étroite collaboration avec l’Entreprise de correction fluviale de la Chamberonne et avec le soutien de la Section vaudoise de la Société suisse des ingénieurs et architectes (SIA), le LAST a ainsi organisé en 2023 la cinquième édition de son concours d’idées «Sustainable is beautiful», ouvert aux étudiantes et aux étudiants des Sections d’architecture et de Génie Civil de l’EPFL. Ce concours leur permet de se confronter à la réalité du concours avec jury, en planchant sur des problématiques concrètes et pleinement d’actualité. «Ce concours avait été imaginé dès sa première édition pour stimuler l’imagination et la créativité des étudiantes et étudiants autour des enjeux de transition écologique et d’urgence climatique, dans une perspective architecturale de sobriété et d’économie des moyens», souligne Emmanuel Rey. Dédié cette fois au concept de « Passerelles écologiques », il s’agissait d’anticiper sur le projet en cours de renaturation de la Chamberonne et du ruisseau canalisé de la Broye qui serpente sur le campus de l’UNIL, et de concevoir deux nouvelles passerelles de mobilité douce, capables de répondre aux futures variations des crues d’une rivière libérée et renaturée, dont la largeur pourrait varier entre 4 et 40 mètres de largeur selon la dynamique intempestive des futures crues.
Les exigences du concours
Les étudiantes et étudiantes devaient former des groupes de 2 à 4 personnes, dont éventuellement un membre d’une autre école ou d’une autre section de la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC). Deux passerelles étaient mises en concours: la «passerelle de la Méridienne» située entre le bâtiment Unithèque et l’Internef, en remplacement du pont existant qui sera démoli. Et la «passerelle du Delta» située juste en amont des berges du Léman, et dont le petit pont actuel sera préservé comme monument historique et désaffecté.
Le jury, présidé par le Prof. Emmanuel Rey, est composé de divers représentant de l’Etat de Vaud, de l’UNIL, de l’EPFL , de la SIA et de la Ville de Lausanne. Les projets des étudiantes et étudiants allaient être passés au crible de quatre critères principaux: intégration aux caractéristiques des sites, qualité de l’expression architecturale et structurelle du projet, efficience en matière d’empreinte carbone et simplicité de la mise en œuvre de l’ouvrage.
Les singularités du projet lauréat
Deux prix et deux mentions ont finalement été attribués. Le projet «Chassé Croisé» de Solène Guisan, Vincent Digneaux et Vincent Kastl a remporté le premier prix, à l’unanimité du jury. Et ce pour plusieurs raisons. Non seulement ce projet réunit rationalité constructive et économie de moyens par une articulation efficiente de poutres métalliques et de poutres en bois local, affichant un système de construction modulaire facilitant à la fois le montage et le remplacement éventuels des éléments constructifs; mais la fonction passante de la passerelle piétonne a été élargie, grâce à l’articulation de pontons pensés comme des segments croisés, qui se prolongent aux extrémités par de petits belvédères, invitant au repos et à la contemplation du paysage renaturé du cours d’eau. La passerelle est à la fois écologique, passante et lieu de vie. Cerise sur le gâteau: le concept de pontons articulés permet le cas échéant de moduler aisément la longueur de la passerelle et de l’adapter à des contraintes peut-être encore insoupçonnées aujourd’hui. Une adaptabilité qui pourrait d’ailleurs convenir tant au site de la Méridienne qu’à celui du Delta. «Le projet lauréat est sobre, modulaire dans son système constructif et évolutif au niveau conceptuel. Avec une réelle économie de moyens, il offre une large palette d’usages et un potentiel de réemploi intéressant», conclut Emmanuel Rey.
Trois questions aux lauréats Solène Guisan, Vincent Digneaux et Vincent Kastl
Quelles sont les sources d’inspiration de votre projet?
Nous avions tous les trois, assez naturellement, des inspirations plus ou moins directes. La première est un projet paysager de mise en valeur d’espaces naturels dans le Sud Ouest de la France, qui nous a marqué lors de vacances. Une promenade intégrant des découvertes d’ambiances, des lieux de pique-nique et de repos, que les habitants apprécient. Plus généralement, ce sont des projets profondément écologiques, simples mais contemporains, qui prônent l’idée de donner à voir, de faire prendre conscience d’un lieu aux habitants, comme la promenade de l’Aire de Descombes, qui raconte une histoire sur un lieu tout en s’effaçant face à la nature. On pense encore aux superbes interventions scéniques en Norvège, aux bains de Copenhague, etc. Plus formellement, les passerelles de l’agence Nu nous ont aussi beaucoup inspiré par la simplicité et l’élégance de leurs structures.
Quelles sont à vos yeux les principales caractéristiques/plus-values qui distinguent votre projet?
Avoir intégré dans la passerelle des questions plus paysagères et urbanistiques, provenant d’une échelle plus large, nous a permis de répondre plus justement à la question écologique. Pour nous, l’écologie ne s’arrête pas à l’utilisation de matériaux renouvelables. L’écologie, c’est aussi un ralentissement. C’est sans doute l’un des autres points qui nous a distingués : avoir intégré ce paradigme à nos réflexions sur l’usage de la passerelle. Le ralentissement, nous l’avons signifié dans des segments croisés, lieux de rencontre et de pause, et avec ces garde-corps tantôt en tablettes tantôt en bancs qui invitent à s’arrêter.
Que retenez-vous de cette expérience?
Étant notre tout premier concours, il nous appris les modalités de cet exercice. Et cette expérience est très enrichissante ! Si un concept solide et réfléchi est nécessaire, nous avons compris qu’une bonne entente au sein d’un groupe est d’une importance cruciale pour faire aboutir les idées et garder une certaine cohérence. Nous avons fait le choix de ne pas limiter notre projet à la passerelle, mais de l’étendre, sortir des sentiers battus peut parfois payer. Avec ce concours, nous avons aussi gagné de la confiance en nous, et nous sommes motivés à en tenter d’autres !
Photo: Alain Herzog
Concours pour étudiantes et étudiants « Sustainable is beautiful», « Passerelles écologiques, 5ème édition, 2023
Organisation
Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL)
Laboratoire d’architecture et technologies durables (LAST),
en collaboration avec l’Entreprise de correction fluviale (ECF) de la Chamberonne, avec le soutien de la section vaudoise de la Société suisse des ingénieurs et architectes (SIA).
Jury
Olivier Andréotti, État de Vaud, DGIP-DAI
Patrick Arnold, UNIL, Unibat
Francesca Barivieira, UNIL, Unibat
Pierre Bays, État de Vaud, DGMR
Anne-Fanny Cotting, Ville de Lausanne, Service de l’urbanisme Prof. Corentin Fivet, EPFL, SXL
Sara Formery, EPFL, LAST
Melaine-Noé Laesslé, État de Vaud, DGES
Verena Pierret, T-ingénierie / SIA Vaud
Maria Saiz, Rapin Saiz architectes
Prof. Emmanuel Rey, EPFL, LAST (président)
Grégory Sutter, ECF Chamberonne / État de Vaud, DGE-Eau
Palmarès
1er prix – Projet « Chassé Croisé », Vincent Digneaux, Solène Guisan, Vincent Kastl.
2ème prix – Projet « L’oiseau de pierre », Iciar Bonnet, Léandre Guy, Mathieu Stutz.
Mention – Projet « Elévation », Thomas Albanesi, Aymen Mosad Radab.
Mention – Projet « La Houle », Maxime Duc, Mathias Hersperger, Siméon Pavicevic, Emeline Vilela.
Rapport du jury
https://infoscience.epfl.ch/record/306429?ln=fr
Photo: Alain Herzog
Écrivez un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs à disposition sont marqués par un *.